Biographie

Léo Mirkine est né à Kiev en 1910. Il a neuf ans lorsque les soubresauts de la Révolution bolchévique, contraignent sa famille à quitter la Russie pour s’installer sur la Riviera française. En poursuivant ses études à Nice et Paris, Léo noue amitié avec de futurs grands noms du cinéma tels qu’Henri Alekan, Maurice Bessy ou encore Jean-Pierre Aumont. Étudiant aux Beaux-arts, il suit des cours d’architecture tout en s’adonnant à sa passion : la photographie. Dans le Montmartre de la fin des Années folles, le jeune Mirkine, qui côtoie tout ce que l’époque compte d’esprits indépendants et novateurs, va très vite se faire un nom dans le cinéma. Rapidement repéré pour son charisme et son talent, dès 1930 Léo Mirkine devient le photographe de plateau attitré des plus grands réalisateurs.

Dynamique et inventif, Mirkine bouscule les codes en parvenant à imposer, sur le film de Christian-Jaque, Un bœuf sur la langue (1933), les formats photographiques 9 × 14 et même 13 × 18 plus vivants et modernes. Dès lors, Léo enchaîne six à sept tournages par ans et les photos Mirkine sont sur toutes les affiches, assurant la promotion des films de Duvivier, Gance, Autant-Lara, L’Herbier, Renoir…

En 1935, avec son ami Jean Renoir, il participe à la création de la première Maison de la Culture et de l’association Ciné-Liberté. Puis en 1936, dans l’enthousiasme suscité par le Front populaire, Mirkine retrouve Renoir sur le tournage de La Vie est à nous, immortalisant, en un cliché mythique, l’équipe du film sous les portraits de Marx et Lénine.

Jusqu’en 1939, des multiples tournages de Christian-Jaque avec Fernandel à Un carnet de bal de Duvivier, sans compter le J’accuse d’Abel Gance, Mirkine est sur tous les plateaux. Mobilisé peu avant que la Seconde Guerre mondiale éclate, Léo est affecté dans la région de Sedan où il rejoint l’État-major comme photographe. En juillet 1940, après la débâcle, il fausse compagnie aux Allemands et regagne Nice, en zone libre où il ouvre le Studio Mirkine « Tout pour le Cinéma et la Photo », qui lui permet d’alterner reportages et portraits tout en et continuant son travail de photographe de plateaux aux studios de la Victorine.

Pour Mirkine, l’année 1941 marque les retrouvailles avec Henri Alekan, Philippe Agostini, René Clément et Claude Renoir, réfugiés à Nice pour fuir l’occupant allemand, qui débouchent sur la création du Centre Artistique et Technique des Jeunes du Cinéma, CATJC qui deviendra l’IDHEC (Institut Des Hautes Études Cinématographiques), puis la Femis. Malgré les troubles de cette période, Mirkine, fidèle au poste, est sur les plateaux de tournage aux cotés de Marc Allegret dans La belle aventure, Jean Delannoy et La mort ne reçoit plus, ou Marcel Carné pour Les visiteurs du Soir.

Résistant de la première heure, dès avril 1941 Mirkine rejoint les rangs du mouvement Combat où, sous couverture de son magasin de photos, il contribue au camouflage et à l’exfiltration d’aviateurs alliés. L’année suivante, en lien avec son ami Pierre Alekan, Léo et Sima intègrent aussi le groupe de résistance « 14 juillet », composé de cinéastes et se spécialisent dans la fabrication de faux-papiers d’identité. Jusqu’à l’arrestation de Léo lors du tournage des Enfants du paradis au printemps 44, le Studio Mirkine est une base de la Résistance azuréenne. Dénoncé comme résistant à la police allemande, Mirkine est déporté à Drancy où le rejoint quelques jours plus tard son petit garçon de neuf ans, Yves, dit Siki, capturé lors de la rafle du presbytère de Séranon. Internés pour raisons de santé à l’hôpital Rothschild, les Mirkine père et fils sont libérés en même temps que Paris, en août 1944, où Léo s’illustrera à nouveau en rejoignant ses camarades du mouvement Ceux De La Résistance, lors de la prise d’assaut de l’Hôtel de Ville.

À la Libération, Mirkine qui œuvre au sein du Comité de Libération du Cinéma Français, réussit une incroyable prise de guerre en récupérant 70 caisses de pellicule vierge que les chefs de la Gestapo Bonny & Lafont destinaient aux franquistes. C’est en partie grâce à cette pellicule que ses amis René Clément et Henri Alekan tourneront La bataille du rail, prix du festival de Cannes 1946.

À partir de cette date, Mirkine prend une part essentielle à l’essor de ce nouveau rendez-vous mondial du cinéma dont il va couvrir chaque millésime jusqu’en 1982. Les grandes années Cannes sont les grandes années Mirkine. En tant que pionnier de la photographie de reportage consacrée au festival de Cannes et fort d’une complicité de longue date avec les acteurs, Léo réalise des clichés uniques que se disputent Paris-Match, Jours de France, Cinémonde ou Ciné Revue ainsi que les majors américaines telles que Century Fox, Columbia, United Artists et Warner Bros.

Sollicité par la Télévision Française, Mirkine, en partenariat avec Stello Lorenzi, tourne chaque jour un reportage filmé consacré aux événements de Cannes et qui est diffusé quotidiennement lors du journal télévisé. Car, au fil du temps, Léo a développé un champ de compétence qui s’étend au-delà de la photographie de plateau, en passant souvent derrière la caméra en tant qu’opérateur voire chef-opérateur de deuxième équipe. Comme lors du tournage du film de Marcel Pagnol, La belle meunière (1948), où Mirkine réalise une des premières tentatives de gonflage de 16 mm couleur en 35 mm qui lui vaudra, entre autres, les félicitations de Kodak.

Léo et Yves Mirkine, 1980

Dans les années 50, Mirkine est un photographe de plateau réputé œuvrant à la fois sur le tournage du fameux Fanfan la Tulipe (1952) de Christian-Jaque, où vient l’épauler son fils Siki, comme sur le film culte de Clouzot, Les diaboliques (1954) et encore le mythique Et Dieu… créa la femme (1956), où Roger Vadim révèle Brigitte Bardot au monde entier.

 

Ayant démontré sa polyvalence et ses multiples talents, Léo, passionné par l’image, est toujours en quête de nouvelles pistes à explorer. Ainsi, à l’occasion du tournage du film Nagana (1955) entre Cameroun, Nigéria et Gabon, où il croise le célèbre docteur Schweitzer, Mirkine réalise un travail d’investigation digne d’un grand reporter, qui donne lieu à une série de conférences documentaires sur l’Afrique. Il renouvelle cette expérience en 1959, lors du tournage de Normandie-Niémen de Jean Dréville, première coproduction franco-russe. Du séjour de huit mois dans sa Russie natale, Léo revient avec un reportage photographique exclusif de l’Union soviétique en pleine guerre froide et une série de films couleurs inédits.

À la fin des années 60, Mirkine décide de passer le relais à son fils Siki, qui a déjà fait ses preuves avec Christian-Jaque, Henri Verneuil, Vadim et Cocteau et qui poursuivra une brillante carrière auprès de Costa Gavras, Terence Young, Autant-Lara, Cayatte ou Molinaro sans oublier Georges Lautner, dont il demeure le fidèle compagnon jusqu’en 1990. Léo, retiré des plateaux de tournage, renoue avec une recherche esthétique sur le nu photographique entamée lors de sa formation aux Beaux-arts, tout en continuant d’imposer son coup d’œil unique sur les stars du festival de Cannes, dont il est devenu une figure emblématique.

Fidèle à son Rollei cabossé, prince séjournant aux marches de son propre palais, tel que le campe son ami François Chalais, en retrait de la meute des photographes, il y a pour toujours Mirkine. À soixante et onze ans passés, crinière et barbe d’écume au vent, sans nœud papillon ni smoking, Léo observe une fois encore Cannes faisant son festival, avant de s’envoler vers d’autres étoiles.

Le legs Mirkine c’est 50 ans de carrière d’un photographe hors normes dont les images font partie de la mémoire collective. Plus de 120 000 négatifs rassemblent les clichés culte des chefs d’œuvre du cinéma et les photos inédites des tournages ; un florilège de portraits originaux des plus grandes stars ; des reportages exclusifs sur l’Afrique et la Russie ; des tirages artistiques de nus académiques ainsi que des centaines de bobines de films.

La saga Mirkine c’est surtout le regard singulier d’un homme attentif aux autres et curieux du monde. C’est le coup d’œil d’un photographe polyvalent, tour à tour délicat et pénétrant, qui capture le réel en respectant son mystère. C’est le parcours d’un artiste indépendant qui combat et résiste pour vivre libre. Mirkine, c’est une vie de cinéma, de travail et d’amitié. La belle vie de Léo !